Témoignage : Accompagnement à domicile

Le domicile, un lieu à découvrir, parfois bien étrange. Avant la loi de 2017, le domicile c’est la famille, on est chez eux.

 

Pour la personne le domicile, c’est un droit, un ancrage, son intérieur. C’est les lieux des signes de son histoire, elle-même, branchée sur les valeurs mais non sur le sens.

 

Aussi pour le bénévole accompagnant à domicile, il est important de ne pas juger, mais il est nécessaire d’évaluer, de diagnostiquer, d’observer, de s’adapter.

 

Le malade a le droit du libre choix, mais le soin à domicile n’est pas toujours simple et l’hébergement peut devenir compliqué.

 

En effet, pour le malade à domicile, la vie continue, d’où la nécessité de prendre soin autrement, d’écouter autrement : quels sont les désirs, les projets, les liens familiaux.

 

Il faut savoir néanmoins que tout n’est pas possible à domicile et que mourir, à l’hôpital n’est pas un scandale en soi.

 

Ce qui est important c’est que le malade reste acteur de son choix et le centre de sa propre vie.

Les exigences de base :

  • Respect de la personne
  • Sécurité

Les six grandes peurs collectives :

mourir seul, fou, avoir des douleurs insupportables, mourir dans le coma, dans le sang, étouffé.

La prise en charge :

La prise en charge d’un patient gravement malade à domicile sur le plan médical s’exerce généralement autour d’une chaîne de travail reliant différents acteurs : infirmiers, auxiliaire de vie, kiné… qui peuvent être salariés ou libéraux, hospitaliers ou de la médecine de ville. Leur but principal est de permettre d’administrer les meilleurs soins de confort possible, tout en tenant compte de l’évolution des pathologies. Ces intervenants ont un rôle bien différent, cependant une collaboration professionnelle entre eux est indispensable.

 

Mais alors que vient faire le bénévole accompagnant, quelle est sa place, il peut paraître comme un étranger ou un intrus. A première vue, il ne rend pas de service, pas là non plus pour surveiller. Le patient n’attend rien de lui, et pourtant, il est là par son écoute pour établir une relation.

 

C’est à travers le témoignage d’un accompagnement qui a duré un peu plus de six mois, à raison d’une fois par semaine, que je vais essayer de mettre en évidence l’importance de cet écoute et comment l’établissement de cette relation a pu permettre à la personne gravement malade de porter un autre regard sur cette fin de vie qui se profile.

Le contexte :

Mme C a 96 ans, elle est sortie de l’hôpital avec une sonde à demeure pour l’évacuation de ses urines et une poche de colectomie pour le recueil des matières fécales, suite à une intervention pour KC du colon. Elle est prise en charge par l’HAD.

 

En pleine révolte, elle en veut aux médecins, aux soignants, qui ont refusé l’euthanasie. « Pourquoi ne pas avoir voulu mettre fin à mes jours, à mon âge, il n’y a plus rien à attendre » sont d’ailleurs les premiers mots qu’elle m’adressera. L’infirmière lui propose le passage d’un ou une bénévole d’accompagnement.

 

Malgré cette colère de début, Mme C ne sait jamais laissé envahir par une certaine froideur, par une indifférence aux autres et à elle.

 

Durant cet accompagnement, trois de ses réflexions m’auront marqué :

 

A chacune de mes visites j’ai entendu Mme C me dire dès mon arrivée : « Ah ! Cette semaine, j’ai encore beaucoup de choses à vous dire. » Et lors de mon départ : « à mercredi prochain Simone »

 

Au cours des visites des deux premiers mois : « Alors comme cela vous allez visiter les personnes malades ? Cela vous passe l’après-midi. » « Vous en avez d’autres personnes à voir ? » (il est vrai que c’était pendant le confinement et le port du masque m’a dans ces circonstances bien arrangé)

 

Au bout de 4 mois de présence hebdomadaire, elle me demande un jour : « Mais Simone, quelle était votre profession ?»

Je la regarde et lui dis : « Qu’en pensez-vous ? » Elle me dit : « Vous deviez bien être un peu dans le soin, car vous savez beaucoup de choses. »

Et moi de lui répondre : « Vous le savez, je suis là comme bénévole d’accompagnement, je fais partie d’une association.

- Ah oui, comment s’appelle cette association ?

- JALMALV, jusqu’à la mort, accompagner la vie. »

 

Après un court instant et du fond du cœur : « Eh bien, ce n’est pas assez connu ! »

Son projet personnel :

C’était de rester chez elle, même si une demande d’EHPAD a été faite par sa fille. Elle habitait seule, sa fille unique habitait à proximité et s’occupait maintenant de la partie administrative de sa prise en charge. Elle lui avait laissé la main… Celle-ci passait souvent, lui apportait le repas qu’elle s’efforçait de manger plus pour lui faire plaisir que par appétit. « Et puis il faut manger pour reprendre des forces. »

 

Mme C a voulu rester le plus autonome possible, même si elle avait des aides pour les soins de stomie, de sonde à demeure, la toilette, les changes, le ménage…

 

Surtout, ne pas rester au lit, se lever, marcher un peu, néanmoins la maladie était bien présente, ce n’était pas un combat qu’elle livrait, elle vivait avec. Elle ne voulait pas prendre trop de morphine pour garder toutes ses facultés mentales. Il faudra du temps et qu’elle souffre beaucoup pour qu’elle accepte de prendre les doses prescrites, comme si la douleur confirmait d’une certaine manière qu’elle était vivante.

 

Elle était bien consciente que sa vie était liée aux interventions extérieurs, mais elle pouvait me raconter comment les soins s’étaient passés, jusqu’où elle avait marché avec le kiné, les différents aléas survenus dans la semaine, comme l’hospitalisation qui avait été nécessaire pour changer la sonde ou parce que celle-ci était bouchée, une manière de faire face à un sentiment de dépossession et de se réapproprier ce qu’elle vivait, ou encore dire sa peur la première fois face à la survenue d’une hémorragie rectale en pleine nuit. « Vous savez, moi qui voulait mourir, là je n’étais pas fière, j’avais peur de l’imminence de cette mort. »

 

Les hémorragies se sont répétées, mais elle avait appris à vivre avec.

 

Cette expérience de la maladie bouleverse aussi le rapport au temps car il se trouve lié aux intervenants extérieures : soignants mais aussi, pédicure, coiffeur…

 

En racontant Mme C retrouvait un peu de liberté par rapport à celui-ci. Elle ne disait pas dans un ordre chronologique, mais elle recomposait en fonction du temps, de l’intensité avec laquelle elle avait vécu les différents moments de la semaine, avec une certaine sélection des évènements et des scènes, tout en restant cependant en lien malgré tout avec l’actualité extérieure du moment. Racontait aussi toute la richesse d’un vécu de 96 années avec les siens, sa biographie, avec des joies, et des moments douloureux : - son enfance séparée de ses parents de l’âge de 3 à 8 ans pour raison de santé, la période de la guerre, la perte des siens, ce qui l’avait amené à se rapprocher de sa fille…sa dévotion envers « la petite Thérèse » qui ne l’avait jamais abandonné…. Et il a bien fallu 6 mois pour en arriver au bout.

 

 

Mme C ne décèdera pas chez elle, elle savait que ce n’était pas le désir de sa fille et puis les derniers temps, elle saignait toujours, et refusait toute transfusion, elle était de plus en plus angoissée. « J’aimerai m’endormir paisiblement » me disait-elle. Elle avait été rassurée par le médecin qui lui avait dit qu’il ne la laisserait pas souffrir, si sa douleur devenait ingérable à domicile, elle pourrait être réhospitalisée et si besoin bénéficier d’une sédation.

 

Elle acceptera d’être réhospitalisée, « il faut que je sois raisonnable, ce sera mieux pour ma fille et pour moi car je me rends bien compte que maintenant j’ai peur, » me dira-t-elle juste avant le départ de son domicile.

 

Deux jours après cette dernière hospitalisation, elle me disait au téléphone : « je n’ai plus peur maintenant. » En effet la nuit, plus le souci de tacher le lit par d’éventuel saignement et puis, elle n’était plus seule.

 

Je lui ai rendu visite encore une fois à l’hôpital, la veille de son décès. Elle était apaisée et elle me dira avec un regard qui en disait long : « ma fille est en train de prendre ses distances, il le faut. » Elle devait lui rendre visite le lendemain. Nos regards se sont croisés une dernière fois. Elle est décédée dans la nuit, sans souffrir, dans son sommeil comme elle l’avait tant désiré. Le lendemain : c’était la fête des mères.

Conclusion

Ce qui a été important pour Mme C, c’est qu’elle a été actrice de ses choix jusqu’au bout. Et mourir à l’hôpital n’a pas été un scandale pour autant, même si le choix était de rester à domicile le plus longtemps possible. Comme je l’ai dit au début, à domicile, tout n’est parfois pas possible.

 

Après notre première rencontre, Mme C ne parla plus d’euthanasie, elle me fit même un jour cette réflexion, je ne me souviens plus à quelle occasion, « si une loi en faveur de l’euthanasie était votée, il risquerait d’y avoir des dérives. »

 

Ce témoignage porte surtout sur l’accompagnement à domicile de Mme C, mais on ne peut ignorer sa fille très présente auprès de sa mère et en souffrance elle aussi, mon accompagnement a donc aussi été vers cette fille, que j’ai rencontré souvent lorsqu’elle était chez elle. Elle aussi avait besoin d’être écoutée.

 

A domicile si l’accompagnant se trouve face à un couple, les deux seront à prendre en compte, en trouvant le moyen d’un temps pour chacun.

Simone, bénévole à Albertville

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